La régularité des écarts budgétaires constatés entre la prévision et l'exécution se rapportant au même exercice soulève un certain nombre de questions vis-à-vis de la sincérité affichée des lois de finances successives. Cette observation qui s'exprime en termes d'impératifs tant financiers que démocratiques plaide pour un renforcement du principe.

 

Dans son avis relatif aux projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2015, le Haut Conseil des Finances Publiques a estimé « optimiste » la prévision de croissance du gouvernement de 1% pour 2015. Si cette présomption se vérifie, c’est toute la trajectoire de redressement des finances publiques qui devra une nouvelle fois être remise en cause.

L’incrédulité des commentateurs à l’égard des déclarations des pouvoirs publics est ancienne. Cette réprobation apparaît en matière de prévision budgétaire encore plus tangible. En effet, la régularité, voire l’automaticité, des écarts constatés entre les données budgétaires prévisionnelles et leur exécution effective légitime certaines réserves. Si l’appréciation de la gestion publique nécessite qu’une attention spécifique soit portée à l’exécution budgétaire, la définition de la prévision est tout aussi déterminante dès lors que son réalisme conditionne la maîtrise de sa réalisation.

Certes, en raison du caractère intrinsèquement aléatoire de l’évaluation budgétaire et économique, toutes les dépenses et recettes initialement prévues ne peuvent figurer sous des montants identiques dans le budget exécuté. Les premières peuvent ainsi être majorées en cours d’année en fonction d’un événement inattendu qui surviendrait, quand les secondes fluctuent selon la conjoncture économique. Par ailleurs, la nécessité de conserver une certaine flexibilité au pouvoir exécutif dans la conduite des politiques publiques explique également les écarts qui peuvent être observés entre la prévision et l’exécution budgétaires relatives à un même exercice. Un équilibre prévisionnel peut ainsi être écarté en cours d’année sans qu’il ne faille pour autant rechercher une action initialement dissimulatrice des gouvernants.

Néanmoins, le budget constitue un acte politique. Un effet « d’affichage » de la politique menée par le gouvernement est associé à son objet strictement financier. La fréquence, comme le montant, des disparités entre les données prévisionnelles et l’exécution budgétaire suggèrent qu’elles s’inscrivent dans le cadre d’une démarche intentionnelle, au dessein des gouvernants, voire à la nécessité morale et financière, de présenter un budget « équilibré ».

Si on veut bien admettre que le gouvernement français poursuit par cette attitude un objectif de « crédibilité » à l’égard de l’ensemble des acteurs économiques et financiers, il n’en demeure pas moins qu’elle est incompatible avec les exigences de la démocratie financière. Elle aboutit la plupart du temps à la réalisation d’un déficit budgétaire qui, s’il peut apparaître justifié par une partie de la doctrine économique, ne l’est en aucun cas lorsque celui-ci résulte d’une gestion non maîtrisée.

Par ailleurs, indissociable de notions comme la sincérité budgétaire ou la transparence de l’information financière publique, cette question est fondamentale pour l’exercice des droits des citoyens et de leur représentation. En définitive, et au contraire de l’effet recherché, la pratique des pouvoirs publics qui consiste à présenter un budget « optimiste », rapidement « contrarié » par les évènements, conduit à annihiler tout sentiment de sécurité financière face au risque de « réajustements » en cours d’année, et plus largement, au-delà du domaine strictement budgétaire, tout sentiment de confiance à l’égard de dirigeants qui ne tiennent pas un « discours de vérité ». 

Ainsi, un certain nombre de modifications effectuées après le vote du budget échappent à toute action volontariste, et bien qu’il soit utopique d’espérer supprimer tout caractère aléatoire à la dimension budgétaire, il n’en demeure pas moins que les risques inhérents à l’exercice de la prévision peuvent être réduits grâce à une attitude circonspecte des gouvernants. En effet, quelle que soit la raison qui conduit à modifier les termes initiaux du budget, ces changements constituent une menace en termes de gestion budgétaire dans la remise en cause du solde prévisionnel, et ce sans évoquer par ailleurs les atteintes portées à l’autorisation démocratique délivrée par les représentants.

Dès lors, si l’imprévu ne peut par définition être anticipé au sein du budget, un « principe » de prudence peut être observé au stade de la définition de ce dernier. Au-delà, une évolution de la pratique budgétaire dépendra de la volonté politique de nos gouvernants à se rapprocher davantage de la vérité budgétaire. Une réponse apportée aux réserves émises par le Haut Conseil des finances publiques vis-à-vis de la trajectoire programmée des finances publiques à moyen terme aurait constitué une avancée. La récente décision du Conseil constitutionnel relative à la loi de finances pour 2015 n’apparaît pas non plus plaider pour un renforcement du principe de sincérité budgétaire. Il demeure à notre sens qu’il serait préférable d’accepter a priori un déficit que de subir a posteriori un déséquilibre « prévisible ».

 

Carine Riou

ATER en Droit public à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Chargée de mission à FONDAFIP

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