Le 13 avril 2015, s'est tenu un colloque sur la sécurité fiscale, organisé par FONDAFIP sous le haut patronage du Ministre des finances et des comptes publics.

Lors des allocutions d’ouverture, Michel Bouvier, Président de FONDAFIP, Directeur de la Revue française de Finances Publiques, après avoir préalablement remercié les intervenants, le public venu nombreux ainsi que les chargés de mission de FONDAFIP, a souligné l’importance de la sécurité fiscale et noté qu’il s’agissait d’un sujet central de politique publique.

Christian Eckert, Secrétaire d’Etat au budget, a souhaité saluer l’action conduite par FONDAFIP pour œuvrer dans la réflexion sur les grands problèmes contemporains des finances publiques et indiqué qu’il suivait attentivement les travaux réalisés en son sein .  Après avoir souligné le particulier intérêt  du colloque organisé par FONDAFIP sur le thème de la sécurité fiscale, il a souligné l’importance qui s’attache à la lisibilité et à la prévisibilité de  la loi fiscale, conditions nécessaires à la sécurité.

Dans son rapport introductif , Olivier Fouquet, Président de section honoraire du Conseil d’Etat, a présenté un état de la sécurité fiscale en France et a mis en évidence que le besoin de sécurité fiscale est en réalité un besoin de sécurité juridique.  Revenant sur les facteurs de l’insécurité fiscale, et notamment l’instabilité des textes, il a rappelé que près de 20 % du Code général des impôts est modifié chaque année et que pas moins de 44 taxes nouvelles  ont été créées depuis 2010.

 

10 h 30 - 12 h 30

1ère table ronde – La sécurité fiscale : une politique publique

 

Alain Lambert Ancien Ministre du budget qui présidait la séance, s’est félicité que la sécurité fiscale soit abordée sous l’angle d’une politique publique, ce qui à son sens est l’un des grands enjeux contemporains.

Le Professeur Michel Bouvier, Président de FONDAFIP, dans un rapport introductif, a montré que l’insécurité fiscale ne concerne pas seulement les contribuables mais qu’elle touche également le Trésor public confronté au risque de ce qu’il a qualifié d’obsolescence de l’impôt sous le double effet de la globalisation de l’économie et du passage à une nouvelle culture, celle du numérique. Pour toutes ces raisons, la sécurité fiscale doit être appréhendée comme un impératif de politique publique.  Selon le Professeur Bouvier, elle nécessiterait que soit conduit un audit global de notre système fiscal.

Valérie Rabault, Rapporteure générale de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, a mis en avant les trop nombreuses modifications des règles fiscales depuis 10 ans et la difficulté de tels changements pour les entreprises. Ayant souligné le manque de cohérence des actions menées et leurs effets contreproductif , elle a regretté que le Parlement ne dispose pas toujours suffisamment de l’information précise qui lui permettrait d’être mieux éclairé.

Michel Bouvard, Sénateur de la Savoie et membre de la Commission des finances du Sénat, a regretté la trop grande prolifération de la production législative ainsi que la trop grande complexité de la loi. Il a proposé que la loi de règlemen permette de mieux mesurer les conditions d’applications de la loi fiscale.

Véronique Bied-Charreton, Directrice de la législation fiscale, a rappelé que la fiscalité doit nécessairement s’adapter aux transformations de la société et que par suite il s’agit d’une matière en constante évolution .

Jean-Marie Monnier, Professeur d’économie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, a  indiqué que la sécurité fiscale n’était pas a priori un sujet d’étude pour les économistes à l’exception toutefois de l’économie du droit qui s’intéresse aux effets des procédures sur les transactions.

Bernard Bacci, Directeur fiscal de Vivendi, a donné le point de vue des entreprises et souligné combien le besoin de sécurité et de stabilité est essentiel pour elles.

 

14 h 15 – 16 h 15

2ème  table ronde – La sécurité fiscale : un enjeu juridique

 

Le Professeur Marie-Christine Esclassan, Secrétaire générale de FONDAFIP, qui présidait la séance a rappelé que l’objectif  général de la table-ronde était de dresser un bilan prospectif de l’état actuel de la  sécurité juridique en matière fiscale en  France

Le Professeur Jean-Raphael Pellas, chargé de mission à FONDAFIP, a introduit le sujet en rappelant les deux principes que sous-tend la sécurité fiscale sous un angle juridique : à titre objectif, la prévisibilité des actes et à titre subjectif, la confiance légitime dans le maintien des actes de l’administration. Après avoir rappelé que dans ce cadre la question de la complexité des normes fiscales se pose plus particulièrement, il a relevé que la portée de l’espérance légitime est posée au regard notamment de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État.

Le Professeur Martin Collet chargé de traiter de la rétroactivité, a noté qu’à l’initiative de la Cour européenne des droits de l’homme les juridictions suprêmes nationales ont amené les parlements à davantage justifier les hypothèses de rétroactivité de la loi fiscale. Néanmoins, l’intérêt de l’État qui prévaut dans certains cas est susceptible de constituer un nouveau « foyer » d’insécurité juridique. Des inégalités nouvelles pourraient également résulter de la protection variable accordée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel aux contribuables, et fonction du délai dans lequel ces derniers saisissent les juridictions pour prévenir une éventuelle rétroactivité fiscale.

Édouard Crépey, Rapporteur public au Conseil d’État, est intervenu sur la nature non normative de la doctrine administrative et sa portée. Ayant conclu  qu’elle constitue non une norme mais un mécanisme de garantie qui assure aux contribuables un degré élevé de sécurité juridique, il s’est toutefois interrogé sur les limites que cette protection rencontre lorsque la doctrine est contraire au droit de l’Union européenne.

Gilles Bachelier, Conseiller d’État, a procédé à une présentation de la pratique du rescrit fiscal, lequel n’obéit pas à un régime homogène en France. Les rescrits fiscaux sont en effet de plusieurs natures, certains fonctionnant plus ou moins bien. Par ailleurs,  non seulement les rescrits ne répondent pas aux mêmes règles mais des incertitudes existent en ce qui concerne les voies de recours dont ils peuvent être l’objet. Concluant son propos, le Président Bachelier, a  estimé que l’on était à une croisée des chemins en ce qui concerne le  rescrit, avec d’un côté une demande de plus en forte de la part des contribuables, de l’autre le risque que l’administration fiscale, soumise à des contraintes externes notamment de la part de la Commission européenne, « retienne sa plume ».

Hervé Cassagnabère, Référendaire à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), s’est interrogé sur la compatibilité de la doctrine administrative française au regard de  la jurisprudence de la CJUE en matière de sécurité juridique. Ayant relevé que cette interrogation est vouée à l’échec si elle est conduite sur la base de la  hiérarchie des normes, il a ensuite montré qu’elle a plus de chances de succès sur la base du principe de confiance légitime. Cette dernière notion englobe au niveau de l’Union européenne la protection des droits acquis, des limites à la rétroactivité et le principe selon lequel l’administration doit être loyale lorsqu’elle s’est elle-même contrainte. Mais selon lui la voie reste étroite.

Vincent Mazauric, Directeur général adjoint des finances publiques, a évoqué les outils d’avenir de la sécurité fiscale. Ayant rappelé la nécessité  de conforter la relation de confiance qui doit s’établir entre l’administration fiscale et les contribuables, il a commenté la création récente d’un conseil des experts afin d’éclairer les décisions de l’administration fiscale dans certaines affaires complexes. Par ailleurs, la publication prochaine des montages et pratiques abusifs complètera un certain nombre de dispositifs plus contraignants dans leur mise en œuvre.

Charles Guené, Sénateur de la Marne, Vice-Président de la Commission des finances du Sénat, a appelé le Parlement à davantage exercer sa fonction de contrôle du Gouvernement. L’administration fiscale pourrait en effet parfois être tentée de s’éloigner de l’objectif de sécurité fiscale au bénéfice de l’impératif d’efficacité.

 

16 h 30 – 18 h 30

3ème  table ronde – Une sécurité fiscale et une sécurité juridique imparfaites ?

 

Marie-Pascale Antoni, Directrice des affaires fiscales au MEDEF, présidait la seconde table ronde de l’après-midi relative à « une sécurité fiscale et une sécurité juridique imparfaites » en remplacement de Mr Alexandre Saubot, chef d’entreprise, empêché. 

Alain Lamassoure, Député européen, président de la commission spéciale sur les rescrits, a rappelé la nécessité de concilier la sécurité juridique avec l’équité fiscale. Face à la pratique du rescrit qui existe sous différentes formes selon les pays de l’Union européenne, il conviendrait  d’améliorer la communication entre les administrations fiscales en ce qui concerne notamment les multinationales.

Gilles Carrez, Président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, a préalablement remercié FONDAFIP, organisateur du colloque, en soulignant la qualité des  travaux qu’il conduit . Il est revenu sur l’importance de la sécurité fiscale, au travers notamment des notions d’intelligibilité et de lisibilité de la loi,. Selon Gilles Carrez, les décideurs publics se sont éloignés de l’objectif initial de l’impôt, soit la couverture des charges publiques. La multiplication des amendements en matière fiscale témoigne par ailleurs de l’instabilité de la loi fiscale.

Stéphane Austry, Avocat associé CMS Bureau Francis Lefebvre, Professeur associé à l’École de Droit de la Sorbonne – Université Paris 1, membre du Conseil des prélèvements obligatoires, a plus particulièrement évoqué les insuffisances de la Charte de la non-rétroactivité. Évoquant la petite rétroactivité, Stéphane Austry a rappelé qu’elle était issue d’une jurisprudence des années 1950 du Conseil d’État et appelé une évolution sur ce point.

Bernard Hagelsteen, Conseiller du président de Vinci,  intervenant pour donner le point de vue  des entreprises a cité à titre d’illustration l’ accord qui a été passé avec les sociétés d’autoroute à travers la généralisation d’un article dit 32 qui pose le principe de la stabilité des dispositifs fiscaux spécifiques à ces entreprises.

Claude Lopater, Expert-comptable, coauteur du mémento comptable Francis Lefebvre de 1988 à 2014, ancien membre du collège de l’ANC, a soulevé quatre causes d’insécurité fiscale et juridique qui sont à son sens majeures. Il a par ailleurs formulé un certain nombre de propositions, telles que la nécessité de clarifier dans une instruction les règles de connexions comptables et fiscales en réponse à l’optimisation légale due au flou des règles comptables.

Jean-Luc Barçon-Maurin, Chef du service juridique de la fiscalité de la DGFiP, a rappelé l’investissement de la DGFiP dans la production de la documentation fiscale. Il a évoqué par ailleurs les actions que mène l’administration fiscale pour promouvoir la sécurité juridique, au travers plus particulièrement de la technique du rescrit fiscal.

Olivier Sivieude, Chef du service du contrôle fiscal de la DGDFiP, a évoqué le pouvoir important du vérificateur fiscal qui peut rectifier l’imposition sur trois années en arrière. Après avoir rappelé la nécessité de disposer de contrôleurs qui sont de bons professionnels, il a insisté sur l’impératif de mettre en place un dialogue entre l’administration et le contribuable durant lequel les parties doivent à tout le moins s’accorder sur les faits. De nombreux dispositifs existent en ce sens au sein de l’administration fiscale (interlocuteurs fiscaux) ce qui constitue une importante garantie en termes de sécurité juridique à l’occasion des contrôles fiscaux.

Dans son allocution de clôture des travaux, Bruno Parent, Directeur général des finances publiques, a souhaité rappeler que l’administration fiscale est particulièrement attentive à la problématique de la sécurité juridique  qui constitue l’un des éléments essentiels du consentement à l’impôt.

François Bonneville, Emilie Moysan et Carine Riou

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