La fiscalité n'a pas été sans subir l'influence des idéologies qui se sont développé au cours du XIXe siècle, notamment les plus marquantes d'entre elles, le libéralisme, le socialisme ainsi que, on l'oublie trop souvent, le solidarisme.
L'observation vaut particulièrement pour les doctrines et théories de l'impôt. Ayant largement emprunté à ces idéologies, elles ont forgé diverses utopies et représentations de la fiscalité qui demeurent encore bien présentes dans les débats contemporains.
Toutefois, les réflexions en la matière ne sont pas non plus restées imperméables à la critique dont ces mêmes idéologies ont été l'objet dans la période récente. Aussi faudrait-il s'interroger aujourd'hui sur le sens nouveau qui devrait être donné à l'impôt et prendre, au moins provisoirement, des distances avec une approche purement technique de la question fiscale, d'une part en s'attachant à ne pas isoler la fiscalité de son contexte, mais surtout en s'efforçant de ne pas l'isoler de l'évolution de ce dernier. Une telle direction suppose au fond une conception institutionnelle de l'impôt, qui ne doit pas hésiter à rompre avec la conception instrumentaliste qui est trop souvent la sienne. Le rôle moteur joué par l'impôt dans les transformations qui s'opèrent au sein de nos sociétés implique en effet que toute réflexion en matière fiscale soit systématiquement associée à une réflexion plus globale sur les transformations de l'État. C'est là une attitude intellectuelle qui devrait être à la base de toute recherche relative à une restructuration du système fiscal.
Il y a à cet égard une urgence d'autant plus grande que l'on assiste depuis quelques années à une sorte de dérive vers ce que l'on pourrait qualifier de nouveau Moyen-Âge fiscal, une situation qui résulte de réponses trop souvent données au coup par coup aux problèmes économiques, financiers, voire même politiques, qui se posent, comme elle résulte aussi des évolutions des sociétés contemporaines qui ont tendance à se diversifier.
Pour bien comprendre cette évolution, il faut se rappeler que l'impôt. dès ses origines, s'est nourri de deux types de représentations opposées mais parvenant néanmoins à coexister ensemble : l'une le voyant comme instrument de soumission, l'autre comme symbole et même moyen de la solidarité du groupe social. C'est de cette seconde représentation que la fiscalité a pu tirer par la suite les éléments les plus forts de sa légitimité. C'est en effet grâce à elle que l'impôt a pu se présenter comme expression et condition nécessaire de la solidarité et du lien social, comme le moyen privilégié de la cohésion, de l'intégration de la communauté, puis de la nation et de l'État. C'est aussi sur ce même fondement qu'il a pu être conçu comme permettant la contribution de tous au financement des dépenses publiques, comme étant l'instrument de la réalisation du bien-être et de l'intérêt général, et cela sur un espace bien circonscrit et pour l'ensemble des individus y vivant. Et c'est finalement ainsi à travers l'image d'un Étatnation unifié, aux frontières bien définies, que s' est forgée une symbolique fiscale largement acceptée et partagée, celle de la réalisation du bien commun par l'impôt, un prélèvement entendu comme une contribution nécessaire à l'organisation de la vie collective.
Une telle vision est loin d'être aussi solide aujourd'hui. À une représentation unifiée de la société tend progressivement à se substituer l'image d'un monde composite et éclaté. Dans ce contexte, l'approche de la fiscalité se transforme sans même que l'on y prenne garde.
Déterminée en grande partie par la forte poussée individualiste des années 1980 s'est fait jour une conception de l'impôt très éloignée de celle de la contribution et qui retrouve dans ses grandes lignes et dans son esprit la logique de l'impôt-échange, de l'impôt prix d'un service rendu. D'un autre côté, et de manière concomitante, on a pu voir se renforcer. voire même s'épanouir, des corporatismes de toutes sortes réclamant et obtenant des privilèges fiscaux qui se traduisent par de multiples types d'allégements d'impôts ou encore par la maîtrise partielle de certains prélèvements obligatoires.
Cette vague corporatiste est à l'origine d'une démultiplication de mesures de faveur et de régimes dérogatoires qui donnent à la fiscalité nationale et locale la structure d'une véritable mosaïque- Toutefois. si l'évolution en restait seulement là, elle n'exprimerait au fond que la poussée excessive d'un phénomène finalement ancien. banal et bien connu. Or ce phénomène ne peut que s'amplifier avec la complexification allant croissant des sociétés contemporaines, on veut dire leur diversification et leur reconstitution en réseaux faits de communautés d intérêts Cette diversification qui pèse lourdement sur la configuration prise ces dernières années par les prélèvements obligatoires fait que la complexité fiscale n'a d'égale que la complexité politique, économique et sociale, et, plus exactement qu'elle tend à lui correspondre trait pour trait.
Dans un tel contexte, l'État ne peut donc qu'avoir de particulières difficultés à faire admettre des textes allant dans le sens d'une universalisation de la fiscalité, une logique pourtant fondamentale au regard de sa trajectoire historique puisqu'amorcée à partir de l'Ancien régime elle lui a finalement permis d'exister comme force politique incontestée. C'est en cela que l'on peut estimer qu'une sorte de dérive vers un nouveau Moyen-Âge est en train de se produire, avec une extrême diversité de prélèvements associée à d'innombrables différences de statut.
C'est aussi la raison pour laquelle aucune réforme fiscale d'ampleur ne peut être envisagée, sauf à voir s'engager une réflexion portant sur l'harmonisation et l'intégration des acteurs et des structures composant la société d'aujourd'hui. À cet égard, et plutôt que de seules réponses ponctuelles à des problèmes conjoncturels ou à des revendications particulières, il conviendrait que se dégage une conception stratégique de la fiscalité correspondant elle-même à une conception stratégique de l'État. Les trans
C'est aussi la raison pour laquelle aucune réforme fiscale d'ampleur ne peut être envisagée, sauf à voir s'engager une réflexion portant sur l'harmonisation et l'intégration des acteurs et des structures composant la société d'aujourd'hui. À cet égard, et plutôt que de seules réponses ponctuelles à des problèmes conjoncturels ou à des revendications particulières, il conviendrait que se dégage une conception stratégique de la fiscalité correspondant elle-même à une conception stratégique de l'État. Les transformations de l'État contemporain ont besoin d'être pensées corrélativement avec les transformations du système fiscal, et vice-versa, selon une optique tout à la fois universaliste et particulariste, solidariste et individualiste. C'est seulement une telle approche qui peut permettre de dégager une autre manière de concevoir l'impôt, une autre culture fiscale.
La présente livraison de la RFFP, par la très grande richesse et la variété de ses contributions, nous rappelle que la fiscalité s'enracine dans un terreau qui a affaire avec le sens que l'on entend donner à la société. Ce numéro devrait permettre par conséquent de nourrir utilement les débats contemporains, somme toute assez limités, qui ont trait aux politiques fiscales à mettre en oeuvre