ÉDITORIAL
CONTRÔLE SYSTÉMIQUE
ET TRANSPARENCE DE LA GESTION LOCALE
L'accent est mis, depuis un certain nombre d'années déjà, sur le morcellement du secteur local français et sur la nécessité que les communes se regroupent afin de se mieux gérer. Or, la notion d'" optimum dimensionnel de gestion ", souvent avancée à cet égard, devient très difficile à cerner lorsque l'on est en présence d'une dynamique de développement faisant intervenir une variété importante de partenaires publics et privés. D'autre part, cette même notion, qui s'inscrit dans une logique exclusivement financière, place au second plan la logique politique très particulière qui est celle du milieu local, de même que la logique juridique qui est celle de tout État de droit, et qui met notamment en avant l'impératif de transparence financière.
Si l'on replace l'évolution du secteur local en perspective historique et spatiale, on peut observer que celui-ci tend progressivement à se constituer sous la forme d'un système complexe, doté d'une dynamique propre, qui lorsqu'elle est amorcée, engendre toujours plus de complexité, plus de différenciation, plus d'interrelations et, finalement, plus de dépendance de chaque élément vis-à-vis des autres et de l'ensemble qu'ils forment, une telle dépendance étant susceptible, il est vrai, de varier selon les moments et selon les objectifs communs poursuivis. Gérer, ou plutôt piloter de tels systèmes, implique d'être en mesure de les contrôler au mieux, de savoir en orienter et en rectifier la trajectoire en fonction des perturbations susceptibles d'intervenir, et de pouvoir effectuer une telle régulation en réagissant dans des temps très courts. Cela suppose préalablement de pouvoir posséder, traiter et renvoyer un maximum d'informations dans un minimum de temps.
La gestion de tels ensembles appelle donc l'utilisation d'une nouvelle logique, accompagnée de l'utilisation de technologies de pointe. Mais là n'est certainement pas la difficulté majeure à résoudre. En effet, et sans exclure les nécessités propres à une gestion financière moderne, il s'agit cependant de la replacer dans le cadre de l'État de droit. Et l'on doit alors s'interroger sur la réalité et l'efficacité des contrôles juridiques, administratifs et politiques, lorsque ceux-ci se trouvent confrontés à un cadre qui, non seulement se révèle de plus en plus foisonnant et enchevêtré, mais dont les pratiques de fonctionnement, en constante évolution, ont parfois tendance à s'éloigner du cadre juridique de la comptabilité publique. L'exemple de l'inscription des collectivités locales au sein du marché financier (cf. RFFP, n° 30-1990), le rôle d'animateur, de catalyseur, voire de développeur économique qu'elles sont de plus en plus amenées à jouer, la force d'investissement qu'elles représentent, les conduit à un type de fonctionnement souvent très proche de celui de leurs partenaires du secteur privé. Comment s'en étonner d'ailleurs dès lors que, des liens se tissant entre collectivités et que celles-ci en venant à constituer un réseau, la bonne marche de celui-ci implique une logique commune de fonctionnement, au moins sur le terrain des principes.
Confrontés à cette évolution sensible des collectivités locales, élus et personnels territoriaux ont été, sont ou seront amenés à modifier leur pratique et leur conceptualisation du milieu local. Les transformations ont, au demeurant, été particulièrement rapides. En septembre 1985, lors du colloque que nous avions organisé au Sénat, nous nous demandions si une commune pouvait ou devait être gérée comme une entreprise (cf. RFFP, n° 13-1986). Six ans après, les institutions financières ne se posent plus, quant à elles, cette question et considèrent d'emblée les collectivités territoriales comme des entreprises. La même année 1985, dans le cadre d'un colloque consacré aux solidarités locales, l'on s'interrogeait déjà sur la direction systémique prise par le secteur local et ses conséquences (cf. Solidarités locales, LGDJ, 1986).
Mais, s'il est toujours nécessaire de savoir identifier le changement, il importe aussi de proposer les moyens de le gérer et de l'orienter. C'est précisément l'objectif du présent numéro de la Revue. On nous permettra néanmoins d'observer qu'un nouveau champ de réflexion se précise, d'ores et déjà, relatif celui-ci à la transparence du système local. Cette question, d'ordre politique et non plus de seule gestion, concerne les moyens de contrôle de fonds publics circulant au travers de réseaux parfois hypercomplexes. Aussi est-on fondé à penser que les modalités de ce contrôle doivent correspondre à la logique du système auquel elles ont à s'adapter, sachant que la substitution du contrôle a posteriori au contrôle a priori, participe déjà de cette adaptation.
En d'autres termes, contrôle de gestion et contrôles administratifs, politiques, juridictionnels, devraient dans l'avenir s'articuler au travers de la notion de contrôle systémique.
Ce processus de complexification du secteur local, s'il devait se confirmer, et cela semble être le cas, nous rapproche et nous éloigne de la recherche d'un optimum dimensionnel de gestion. Il suppose en effet de faire fonctionner ensemble, synergétiquement, des entités qui, a priori, poursuivent des stratégies différentes, et qui sont parfois empreintes de logiques, de cultures, très diverses. Mais n'est-ce pas là le défi essentiel qu'il s'agit aujourd'hui de relever, tant d'ailleurs au plan local que national, voire même international.
Michel Bouvier