La LOLF : une réforme inachevée de par son ambiguïté


La LOLF depuis plusieurs années est et a été l’objet de critiques relatives à son application effective. Plusieurs rapports et colloques ont ainsi mis en évidence la difficulté à concrétiser et développer ce qui en constitue la dynamique et même le sens profond, à savoir la responsabilisation des acteurs et l’évaluation de l’exécution du budget laquelle concerne tout à la fois la régularité et la performance. Des propositions d’amélioration récentes ont certes été faites sur le sujet. Force est cependant de constater qu’elles n’ont pas fait l’objet du même intérêt ni de la même adhésion que ceux générés à l’époque par le texte initial de la proposition de LOLF.

On peut être enclin à penser que la culture dont la LOLF est porteuse ne saurait s’imposer par la seule vertu d’un texte, fût-il une loi organique et que tout dépend de l’application qui en est faite par les parlementaires ainsi que par l’ensemble de l’administration. Ce n’est pas là toutefois une réponse suffisante. En réalité tout dépend d’abord de la manière de considérer la question. Et de ce point de vue, il convient de mettre en évidence ce qui constitue à notre sens un obstacle majeur, fondamental, à une complète mise en œuvre de la LOLF ainsi qu’à la difficulté de l’amender.

On fait référence ici à l’ambiguïté dont le texte est porteur, ambiguïté qui est liée à une philosophie et à des dispositifs qui ne sont pas totalement en phase avec le cadre théorique, administratif et politique dans lequel il a à s’appliquer. Là est à mon sens l’écueil majeur qui fait que la LOLF n’est pas parvenue jusqu’ici à satisfaire l’objectif général dont elle est potentiellement porteuse et qui est de réaliser une articulation de la démocratie politique et de la culture de gestion, la première étayée par un renforcement des pouvoirs du Parlement, la seconde par référence à une culture d’entreprise. Cet objectif est au cœur de ce qui apparaît comme le pilier essentiel de la réforme : une responsabilisation des acteurs, politiques et gestionnaires, agissant dans le cadre d’un modèle économique libéral. Un modèle, il faut le rappeler, qui a pour projet d’intégrer le politique au sein de la logique économique comme le développent les théories de l’école du Public choice.

La LOLF participe en cela de l’évolution vers un modèle différent du modèle keynésien alors même qu’en revanche le cadre politique mais aussi la culture politique qui régissent la mise en pratique du droit budgétaire ne procèdent pas de la même logique. L’un et l’autre sont restés enracinés dans une conception qui privilégie l’exécutif et limite l’initiative des parlementaires et par conséquent les enferme dans une culture déresponsabilisante. Il en est de même du cadre gestionnaire demeuré ancré dans une conception statutaire de la fonction publique. Autrement dit, le cadre défini par la LOLF et celui déjà là, non encore modifié ou en tout cas insuffisamment, ne sont pas compatibles.

En définitive, cette réforme conçue pour responsabiliser les acteurs politiques et les acteurs administratifs en les sensibilisant à une culture gestionnaire, économique, a vu son accomplissement limité par les vestiges de l’ancien dispositif encore bien solides. On est ainsi face à une inadéquation institutionnelle source à la fois d’un blocage politique et d’un blocage administratif, et d’une ambiguïté, qui bloque l’évolution concrète du texte. Or cette ambiguïté ne saurait être levée sans une identification préalable des déterminants de la réforme budgétaire et comptable dont elle est porteuse. Ce n’est qu’à partir de là que les obstacles les plus cruciaux peuvent être mis en évidence et que des réponses adaptées peuvent être apportées.

On n’a pas suffisamment pris la mesure que la LOLF est le produit d’un processus de transformation du modèle économique et politique de la société des années 1960-1970, une transformation qui va dans le sens d’une appropriation du modèle de gestion et de gouvernance de l’entreprise et donc d’une culture économique, par l’ensemble des acteurs concernés par le processus budgétaire, acteurs politiques et gestionnaires. Or, s’agissant des premiers, la culture politique est demeurée en grande partie celle de l’ancien modèle sachant qu’il en est de même pour les seconds avec une culture de gestion qui ne parvient pas à s’inscrire dans une démarche responsabilisante, cela même si l’on peut constater une sorte d’entropie en ce qui concerne le développement des outils de gestion. On doit regretter qu’une démarche gestionnaire techniciste tende en effet à prédominer sur celle qui devrait préalablement concerner l’organisation du processus de décision politique dont au final dépend l’efficacité du contrôle de gestion.

Au final, c’est bien le processus de régulation politique qui est en cause. Il y a dichotomie entre un mode de fonctionnement qui, selon la Constitution de 1958, ne responsabilise pas le Parlement et la philosophie sur laquelle repose la LOLF laquelle vise à renforcer le parlementarisme mais ne déroule pas jusqu’au bout la logique de son projet. Il serait donc pertinent de s’interroger sur la construction d’un modèle de régulation politique des finances de l’État afin de ne plus le confondre avec celui du contrôle, du pilotage, de la gestion et d’appliquer la LOLF dans tous ses aspects.


Michel BOUVIER 

RFFP n°156 - Sommaire

Fiscalité et innovation

RFFP n° 156 – Novembre 2021

Éditorial : La LOLF : une réforme inachevée de par son ambiguïté, de Michel Bouvier ..... V

• FISCALITÉ ET INNOVATION

Introduction, par Pascal Saint-Amans ..... 3

Fiscalité et innovation : l’évolution de la réflexion dans les travaux de recherche, par Marine Michineau ..... 7

Les conceptions économiques de l’innovation et leur inflexion dans un contexte de crise, par Jean-Marie Monnier ..... 19

Le Crédit Impôt Recherche, par Philippe Thiria ..... 31

Le régime français d’imposition des revenus de la propriété intellectuelle, par Alfred de Lassence ..... 41

L’évaluation des dispositifs fiscaux innovants, par Jean-Raphaël Pellas ..... 47

La jurisprudence fiscale est-elle innovante ?, par Bastien Lignereux ..... 61

Les grands défis vus par les entreprises, par Maïté Melaye-Olivier ..... 77

DOSSIER : GOUVERNANCE FINANCIÈRE PUBLIQUE COMPARÉE

Les « nouvelles routes de la soie ». Belt & Road Initiative – BRI. Une nouvelle étape de la mondialisation, par Thierry Lambert et Shuchun Wan ..... 83

La mise en place de l’audit interne dans les universités publiques vietnamiennes : des exigences réglementaires aux exigences de la nouvelle gouvernance, par Giang Thuc Huong Nguyen ..... 101

L’impôt au Cameroun : entre territorialité, extra-territorialité et re-territorialité, par François Abeng Messi ..... 109 

• CHRONIQUE DE GOUVERNANCE BUDGÉTAIRE

Mettre fin à l’ambiguïté de la LOLF, par Michel Bouvier ..... 131

Le concept de transparence en Droit public financier. Les propriétés du concept (1re Partie), par Jean-Baptiste Jacob ..... 141

• CHRONIQUE FISCALE

Chronique de jurisprudence fiscale, par Aurélien Baudu, Xavier Cabannes et Julien Martin ..... 163

• CHRONIQUE DES JURIDICTIONS FINANCIÈRES

La revue par les pairs : la mère de toutes les évaluations externes des institutions supérieures et régionales de contrôle européennes, par Rudy Chouvel ..... 185

Les indemnités des élus locaux et le juge financier, par Florent Gaullier-Camus ..... 203

• CHRONIQUE DE GOUVERNANCE FINANCIÈRE LOCALE

Mise en place d’une démarche de management par la performance : exemple de la Ville de Caen et Communauté urbaine Caen la mer, par Cédric Rouzée ..... 225

• CHRONIQUE BIBLIOGRAPHIQUE

I. – Comptes rendus d’ouvrages, par Gilbert Orsoni et Jean-Francois Boudet ..... 249

II. – Vient de paraître ..... 255 

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