Éditorial
Mesdames et Messieurs les (nouveaux) députés :
les finances publiques sont au cœur
de vos décisions !
« Prendre position sur les affaires de la communauté »… nécessite de « comprendre de quoi il s’agit et de pouvoir apprécier ce qui est en jeu »[1]. Si le conseil est plein de bon sens et peut concerner tout un chacun, sa mise en oeuvre ne va pas de soi lorsqu’il s’agit de sujets qui concernent les finances publiques. Pour une grande partie de la population, leurs mécanismes et leurs enjeux sont considérés comme particulièrement opaques et difficiles à décrypter. D’un autre côté, elles font trop souvent l’objet de jugements faciles, voire même simplistes, qui relèvent d’à priori idéologiques parfois les plus éculés, répétés d’années en années. D’une manière générale les finances publiques pâtissent d’une image négative, voire rébarbative qui fait obstacle à leur compréhension non seulement pour le citoyen mais aussi pour ses représentants les moins aguerris.
De fait, le domaine n’est pas simple. Constituées de processus particulièrement enchevêtrés au sein desquels interagit une très grande variété de facteurs nationaux et internationaux, les finances publiques forment un ensemble complexe et donc un système qui ne se pilote pas aisément. Raison de plus pour laquelle il est urgent que tous les élus en charge de la chose publique s’y intéressent. Il est tout aussi crucial de même que la gouvernance financière publique ne se limite pas à traiter de manière isolée les différentes composantes du système financier public. Or il faut bien le constater : les analyses économiques, juridiques, politiques, gestionnaires prolifèrent à foison mais le plus souvent sans que soit proposée une réflexion d’ampleur, c’est-à-dire de fond, embrassant l’ensemble des composantes en jeu, et ayant pour objectif de dégager un projet, un sens pour les finances publiques de demain et donc pour la société de demain. Cette lacune est éminemment dommageable non seulement d’un point de vue économique mais aussi d’un point de vue politique et social eu égard notamment à la qualité de vie des générations futures.
L’invention indispensable d’une nouvelle gouvernance financière publique et par conséquent l’invention d’un nouvel État est conditionnée aussi par une éducation des citoyens[2] et par le développement d’une « intelligence collective » ou encore de « réseaux d’intelligence ». Car sans une démultiplication et un partage des savoirs[3], aucune création institutionnelle n’est possible. Les transformations des sociétés contemporaines s’inscrivent dans le cadre de l’essor d’une économie cognitive, c’est-à-dire une économie pour laquelle la connaissance, le savoir, la compétence, la créativité, sont essentiels.
Mesdames et Messieurs les députés, vous avez à assumer un monde qui est inscrit durablement dans une logique du mouvement, de l’incertain, de la réforme permanente. Dans ce contexte votre capacité à assumer le défi de la complexité, à interpréter, organiser et piloter des phénomènes de plus en plus enchevêtrés nécessitant de prendre appui sur un réseau de mutualisation de multiples savoirs, constitue un enjeu fondamental. Dans ce cadre il y a aussi besoin de réinventer le système financier public, de le repenser dans le contexte général qui est maintenant le sien[4], celui d’un monde en transition.
Pour aller dans ce sens, c’est le caractère politique des finances publiques qui doit être compris. Elles constituent le noyau dur et la substance des pouvoirs politiques, elles en déterminent la puissance et l’évolution. Plus largement, elles expriment toujours des choix de société. Leur organisation, leurs règles, exercent une influence considérable sur la vie quotidienne des particuliers comme des entreprises, elles sont présentes partout. Étant au coeur de toutes les grandes questions qui se posent aux sociétés contemporaines, elles sont déterminantes pour la démocratie et pour la satisfaction des besoins des populations. À travers elles, c’est bien la qualité du contrat social qui est centrale.
C’est pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés, vos compétences et votre connaissance des finances publiques sont essentiels.
Michel BOUVIER
[1] Weil E., Philosophie politique, Vrin, 1985 (4e édition).
[2] Voir les conférences, colloques, publications et films proposés par FONDAFIP (www.fondafip.org).
[3] Voir les grands enjeux des finances publiques sur Youtube : https://www.youtube.com/results?search_query=michel+bouvier
[4] Cf., Bouvier M., Esclassan M.-C., Lassale J.-P., Manuel de Finances publiques, LGDJ, 2017, 16e édition. Voir également Bouvier M., « Repenser et reconstruire les finances publiques de demain » in Réformes des finances publiques, démocratie et bonne gouvernance (sous la direction de Bouvier M.), LGDJ, 2004.