Une fiscalité locale est-elle aujourd’hui légitime ?
Comme nous le relevions dans un précédent éditorial un processus de disparition de la fiscalité locale et donc de l’autonomie fiscale des collectivités territoriales s’est amorcé dès 1982. Il s’est poursuivi d’années en années, de dégrèvements en exonérations et la suppression de la taxe professionnelle et de la taxe d’habitation ainsi que la baisse des impôts de production ne font que prendre acte et poursuivre une évolution qui s’étale sur quatre décennies et va dans le sens d’une progressive remontée du pouvoir fiscal vers l’État. Cette quasi- disparition de la fiscalité locale peut paraître surprenante lorsqu’on se souvient des qualités qui lui étaient autrefois attribuées tant pour son rôle jugé essentiel pour le développement économique que pour celui qui lui était attribué comme facteur de dynamisation de la démocratie de proximité et de renforcement du consentement à l’impôt. C’était aussi il y a quatre décennies.
Autrement dit, la légitimité de la fiscalité locale semblait alors indéniable et par ailleurs n’a jamais été ouvertement contestée depuis. En revanche, ce qui l’a été c’est l’existence d’un principe d’autonomie fiscale, lequel a été réfuté par le Conseil constitutionnel en décembre 2009 et la trajectoire de cette autonomie au cours des treize années qui ont suivi a finalement confirmé cette décision. Or, les deux légitimités ne sont-elles pas indissociables ? Lorsque la légitimité de la fiscalité locale paraît acquise, celle de l’autonomie fiscale ne devrait-elle pas aller de soi ? A contrario, l’illégitimité de l’une n’emporte-t-elle pas celle de l’autre ? C’est bien parce que les impôts locaux « phares » disparaissent que l’autonomie fiscale devient évanescente.
Cette situation sans être passée inaperçue révèle cependant le peu d’attention dont a été l’objet un phénomène qui s’est déroulé sur la longue durée et dont les facteurs sont multiples, économiques tout
autant que politiques. Il est difficile par conséquent d’en appréhender toutes ses dimensions, il est difficile aussi d’en imaginer l’ampleur comme il est difficile pour des générations successives d’en suivre la progression. Peut-être est-il également délicat d’admettre que des impôts dont l’origine remonte à la Révolution de 1789 puissent en quelques années perdre leur légitimité et disparaître.
Quoi qu’il en soit, une question de fond doit être clairement posée : une fiscalité locale est-elle aujourd’hui légitime ?
Si cela est le cas, et sachant qu’il serait inefficace de revenir en arrière, l’innovation doit être au rendez-vous. Il convient dès lors de se garder d’une approche purement technicienne qui consisterait à modifier les règles d’assiette. Un préalable est en effet indispensable : définir en quoi l’imposition locale est légitime : par exemple en étant un moyen efficace de financer le développement, par exemple encore en constituant une réponse aux besoins des populations, par exemple aussi en étant une voie d’accès privilégiée à une responsabilisation de la gestion publique et un élément clef de la démocratie de proximité. Un certain nombre d’autres facteurs sont également déterminants au regard de cette légitimité, notamment une gestion de l’impôt cohérente et efficace, des fonctions clairement affichées, des règles fiscales à la fois simples et enracinées dans le principe d’égalité devant l’impôt, un service rendu par la collectivité en rapport avec la charge supportée par le contribuable. Il importe aussi de répondre au risque d’éclatement ou d’éparpillement de la fiscalité ainsi qu’à celui d’une augmentation simultanée de la pression des divers impôts (État, sécurité sociale, collectivités locales). Il est par conséquent indispensable que le système fiscal soit globalement cohérent et, pour cela, qu’il soit régulé. C’est là une condition essentielle pour que la diversité et la complexité du système n’évoluent pas vers le désordre, le chaos et l’implosion.
Si au contraire on estime illégitime une fiscalité, fondement d’une autonomie, il suffit alors de laisser se poursuivre le processus bien installé de transformation vers des dotations ou bien encore de créer un impôt national réparti par l’administration entre les collectivités selon certains critères de péréquation. Pour ses partisans, cette dernière solution qui s’apparente au partage d’un impôt d’État, aurait pour avantage d’une part, une certaine homogénéité dans l’espace, d’autre part, une neutralité qui ne peut exister dans le cadre d’une décentralisation fiscale. S’ajoute un argument économique qui est d’éviter les distorsions de concurrence et les délocalisations non
justifiées des entreprises, voire même des ménages. Il est donc considéré que « la centralisation permet l’harmonisation puisque les règles de taxation sont les mêmes pour tous »3. Cette centralisation fiscale s’identifie en réalité à une forme de subventionnement. C’est une solution de ce type qu’avait préconisé le 15e rapport du Conseil des impôts (1997) en proposant une taxe professionnelle transformée en un impôt national redistribué aux collectivités locales sous la forme d’une dotation.
Au final, et quels que soient les points de vue en présence, la voie la plus pertinente doit demeurer celle qui est la plus susceptible d’assurer le bien-être des citoyens. C’est bien là, nous semble-t-il, la seule justification sérieuse d’un débat autour de l’autonomie fiscale locale et de la légitimité de l’existence d’impôts locaux.
Michel BOUVIER