Editorial

La crise d’un modèle politique

Comme nous le relevions dans notre précédent éditorial (« Audace intellectuelle et bonne gouvernance financière publique : une réponse à la crise », cette Revue n° 106-2009), depuis la seconde moitié des années 1970 et jusqu’a` aujourd’hui les crises n’ont pas cesse´
en vérité de se succéder. C’est bien la raison pour laquelle la crise actuelle doit être regardée comme étant finalement la résultante d’une évolution jamais contrôlée. Elle apparaît au fond comme le fruit de multiples choix qui se sont combinés de manière plutôt
aventureuse avec néanmoins un point commun qui est le suivant : toutes les analyses, prises de position ou décisions ont été´ faites sur la base d’une réflexion strictement économique. Autrement dit, le regard qui a été porté sur les problèmes rencontrés par la société n’a
jusqu’alors concerné que la pertinence du modèle économique. Il a été unilatéral tout en ne cessant, paradoxalement, de mettre en avant des causes systémiques pour les expliquer.

Si l’on y regarde d’un peu près, il semblerait qu’il serait également utile de s’interroger sur la valeur du modèle politique qui est le nôtre, ou mieux encore sur celle de l’ensemble relationnel que forment l’Etat et son environnement économique et social. Par exemple, il n’a
jamais été répondu autrement que de manière théorique, voire idéologique, à la question clef des relations de l’Etat avec les acteurs économiques, à la forme que devraient prendre ces rapports, a` la manière de les stabiliser. Or une telle question n’est pas prioritairement
économique, elle est avant tout politique et méthodologique. D’une part elle relève de l’organisation générale des sociétés organisées sous la forme d’Etat, d’autre part il est indispensable de l’appréhender a` travers une approche globale qui permette de resituer la
décision politique dans un ensemble relationnel ne se limitant pas au seul raisonnement économique.

Une observation attentive de la période qui vient de s’écouler montre cependant que l’Etat n’a jamais été considéré autrement qu’un acteur économique, ce qu’il est certes, mais ce qu’il n’est pas seulement. Ajoutons que c’est aussi sur la base de cette approche qu’il a
tantôt été paré de toutes les vertus, tantôt désigné comme la source de tous les maux. C’est ainsi que la réponse immédiatement donnée à la crise de la fin des années 1970 fut, dans le droit fil des politiques mises en oeuvre depuis les années 1930 (1), de considérer
l’Etat comme la solution. La clé des problèmes paraissait alors simple ; elle devait résulter de l’interventionnisme de l’Etat, seul acteur économique considéré comme pertinent pour résoudre les problèmes, assurer le bien-être et même « changer la vie » pour certains.
Dans ce cadre intellectuel, voire même culturel, le modèle de société qui prédomine est économique et ne prend en considération le poids du politique qu’a` travers cet aspect. L’Etat est appréhendé comme extérieur et supérieur à son environnement tout en étant perçu
comme le lieu ultime de la décision économique...

À la fin des années 1970 les effets escomptés n’étant malheureusement pas au rendez-vous, va alors s’imposer avec une très grande facilité un point de vue totalement opposé, qui consiste à condamner l’Etat avec la plus grande vigueur. C’est ce point de vue qu’exprime
très clairement le Président des Etats-Unis, Ronald Reagan, le 20 janvier 1981, lors de son discours d’investiture. Le nouveau président américain déclare ainsi que face à la crise, « l’Etat n’est pas la solution à nos problèmes. L’Etat est le problème (2)». En clair, c’est le
marché qui doit prédominer, c’est lui qui est la véritable solution. Une fois de plus, on ne s’interroge pas sur les relations entre le marché et l’Etat, on ne s’inquiète pas par conséquent pas de la pertinence du modèle politique dans la mesure où toutes les questions d’ordre
politique ou administratif semblent naturellement s’inscrire dans une logique économique. Et il apparaît, en d’autres termes, que l’approche économique fait de l’Etat la meilleure ou la pire des choses et ce en faisant abstraction de son essence primordiale, le politique.
Aujourd’hui encore, et alors que c’est bien le modèle économique qui est mis en cause à travers la crise actuelle, on assiste paradoxalement à un mouvement qui tend à vouloir que l’Etat d’aujourd’hui se tourne vers les formes de celui d’avant-hier. On conviendra qu’un
tel retour vers un
passé si décrié il y a peu encore peut a priori étonner. Et il peut conduire à la conclusion que l’Etat est plus exactement une solution virtuelle, en ayant le caractère d’une image rassurante, familière aux anciennes générations, idéalisée pour les nouvelles qui n’ont jamais
connu le « faste » des années de croissance, celles de l’apogée de l’Etat providence.
Il reste en réalité à donner un sens global aux transformations – certes tâtonnantes mais profondes et irréversibles aussi bien d’un point de vue matériel que de celui des idées (philosophiques, politiques, économiques...) – qu’a connues la société depuis la fin des années
1970. C’est un nouveau monde politique qu’il s’agit de conceptualiser et de bâtir, un nouvel Etat enraciné dans un processus qui en est le moteur, on veut dire la nouvelle gouvernance financière publique, ultime intégration du politique et de l’économique après des
décennies de séparation.

Michel BOUVIER


(1) « L’élargissement des fonctions de l’Etat, nécessaires à l’ajustement réciproque de la propension à consommer et de l’incitation à investir, semblerait à un publiciste du XIXe siècle ou à un financier américain d’aujourd’hui une horrible infraction aux principes
individualistes. Cet élargissement nous paraît au contraire et comme le seul moyen d’éviter une complète destruction des institutions économiques actuelles et comme la condition d’un heureux exercice de l’initiative individuelle ? », J.-M. KEYNES, Théorie générale de
l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, 1936.

(2) «In this present crisis, government is not the solution to our problem. Government is the problem.»
RFFP n°107 - Sommaire

La LOLF et les collectivités locales

 

RFFP N° 107 – Juin 2009
           

 

Éditorial : La crise d'un modèle politique, par Michel Bouvier

• LA LOLF ET LES COLLECTIVITÉS LOCALES
Avant-propos, par Jean-Luc Albert

         ÉTAT DES LIEUX

L'influence de la LOLF sur les collectivités locales, par Luc Saïdj
La LOLF a-t-elle changé les rapports État / Collectivités locales ?, par Loïc Levoyer
La mission de l'État « Relations avec les collectivités territoriales », par Cendrine Delivre-Gilg
L'influence de la LOLF sur les budgets locaux, par Francine Gemieux
La trésorerie locale en régime LOLF, par Vincent Dussart
Le respect des objectifs fixés par l'organe délibérant depuis 2001, par Étienne Douat
Une analyse de la gestion de la performance par les collectivités locales françaises : un modèle administratif ou politique ?, par David Carassus et Damien Gardey
La démarche de performance dans les collectivités territoriales. L'expérience du département du Rhône, par Claude Ducos-Miéral
La démarche de performance dans les collectivités locales. L'expérience de la commune de Villeurbanne, par Laurent Argentieri
La LOLF n'est pas le modèle pour un perfectionnement de la gestion financière locale, par Robert Hertzog
La performance à l'épreuve de l'autonomie locale. Les expériences allemandes et espagnoles, par Christelle Bouguillon

PROBLÉMATIQUES

La certification des comptes des collectivités locales : enjeux et pertinence de l'application du modèle Lolfique, par David Carassus
Le problème de la certification des comptes des collectivités locales. Un rôle nouveau pour les chambres régionales des comptes ?, par Michel-Pierre Prat
Les « LOLF locales » : une approche managériale plus que budgétaire, par Éric Portal
LOLF et autonomie locale, par Fabrice Robert
Quelques observations en conclusion sur la LOLF et les collectivités territoriales, par Gérard Marcou

• ÉTUDES
Les procédures de contrôle en matière de recouvrement des cotisations sociales : des garanties encore insuffisantes. Éléments de réflexion au regard des pouvoirs d'investigation de l'Administration fiscale, par Nicolas Chifflot
Le droit fiscal italien confronté à la modernité des contributions environnementales, par Sylvie Schmitt
L'histoire des octrois : exemple de la difficulté à réformer la fiscalité locale, par Laurence Tartour

• CHRONIQUE D'ACTUALITÉ
La gratuité des cantines scolaires à Drancy : un modèle précurseur
de financement des services publics ? Entretien avec Jean-Christophe Lagarde, maire de Drancy. Propos recueillis par William Gilles et Irène Bouhadana

• CHRONIQUE D'ACTUALITÉ DES RÉFORMES
Périmètre et fonctions de la comptabilité budgétaire de l'État, par Jean-Paul Milot et Claudine Moille

• CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE CONSTITUTIONNELLE
Le Conseil constitutionnel, les finances publiques et les finances sociales. La jurisprudence de l'année 2008, par Xavier Prétot

• TRIBUNE LIBRE
 « 8 mois – 8 lois », par Henry-Michel Crucis

• CHRONIQUE BIBLIOGRAPHIQUE
I. – Comptes rendus d'ouvrages, par Louis Vaillant
II. – Vient de paraître
III. – Annonce de colloque


The LOLF and Local Administrative Units

 

RFFP 107 – June 2009

 

Editorial, by Michel Bouvier


THE LOLF AND LOCAL ADMINISTRATIVE UNITS
Foreword, by Jean-Luc Albert

A STATE OF AFFAIRS
The Influence of the LOLF on Local Administrative Units, by Luc Saïdj
Has the LOLF Changed the State / Local Administrative Units Relationships?, by Loïc Levoyer
The “Relations-with-territorial-communities” State Mission, by Cendrine Delivre-Gilg
The Influence of the LOLF on local budgets, by Francine Gemieux
Local Bookkeeping under the LOLF regime, by Vincent Dussart
The Achievement of the Objectives Set by the Local Elected Councils Since 2001, by Étienne Douat
Efficiency Management in French Local Administrative Units: an Administrative or a Political Model?, by David Carassus and Damien Gardey
The Efficiency-Oriented Approach in Local Administrative Units. The Example of the Rhône Département, by Claude Ducos-Miéral
The Efficiency-Oriented Approach in Local Administrative Units. The Example of the Town of Villeurbanne, by Laurent Argentieri
The LOLF is not a Model for the Improvement of Local Finance Management,  by Robert Hertzog
Efficiency to the Test of Local Autonomy. The German and Spanish Experiences, by Christelle Bouguillon

         DISCUSSIONS
Certifying Local Administrative Units Accounts: Stakes and Relevance of the Implementation of the LOLF-based Model, by David Carassus
The Problem of the Certification of Local Administrative Units Accounts. A New Role for the Regional Court of Auditors?, by Michel-Pierre Prat
“Local LOLFs”: a Managerial rather than Budgetary Approach, by Éric Portal
LOLF and Local Autonomy, by Fabrice Robert
A Few Remarks by Way of Conclusion on the LOLF and Local Administrative Units, by Gérard Marcou

• STUDIES
Checking procedures in the collection of social contributions: guarantees still fall short of total satisfaction. Elements for a reflection on the investigative powers of the tax administration, by Nicolas Chifflot
The Italian Tax Law and the Modernity of Environmental Contributions, by Sylvie Schmitt
The History of City Tolls: Case Studies in the Difficulty of Reforming Local Tax Systems, by Laurence Tartour

• REVIEWS OF CURRENT AFFAIRS
Free Lunches for Schoolchildren in Drancy: a Precursory Model of Public Service Funding? An Interview with Jean-Christophe Lagarde, the Mayor of Drancy, by William Gilles and Irène Bouhadana

• REVIEWS OF THEREFORMS IN PROGRESS
Field of Application and Functions of State Budgetary Accounting, by Jean-Paul Milot and Claudine Moille

• REVIEWS OF CONSTITUTIONAL JURISPRUDENCE
The Constitutional Council, Public Finance, Social Finance: The Jurisprudence of the Year 2008, by Xavier Prétot

• OPINIONS
“8 Months – 8 Laws” by Michel Crucis

•  BOOK REVIEWS
I. – Reviews, by Louis Vaillant
II. – Just Published
III. – Forthcoming Symposium

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