Editorial


L’Etat intelligent et la nouvelle gouvernance financière publique


Nous évoquions dans un précédent éditorial (1) le développement d’une intelligence collective, d’un réseau d’intelligence ou encore d’un partage des savoirs sans lequel aucune création institutionnelle n’est aujourd’hui possible. Pour prolonger cette réflexion, nous
voudrions souligner ici que les transformations de l’Etat contemporain s’inscrivent dans le cadre de l’essor d’une économie cognitive,c’est-à-dire une économie pour laquelle la connaissance, le savoir, la compétence, la créativité, sont essentiels et constituent en somme
une nouvelle matière première.

Cette nouvelle donne, les entreprises la connaissent bien, car il s’agit pour elles d’un enjeu majeur. Or, c’est aussi à ce même enjeu que les Etats qui épousent les méthodes et la culture de gestion de l’entreprise, sont maintenant confrontés. La réforme de la gestion
publique et la montée en puissance d’une société de l’immatériel vont, en effet, de pair et ont pour conséquence la naissance d’un nouvel Etat, d’un « Etat intelligent ». Ainsi, après l’implantation progressive de la « nouvelle gestion publique », puis le passage à une «
nouvelle gouvernance financière publique », c’est a` la naissance d’une « gouvernance financière publique d’excellence » à laquelle nous assistons maintenant, cette dernière associant à la mesure de la performance, de l’efficacité de la gestion, une dimension cognitive.

Il apparaît, en d’autres termes, que la logique gestionnaire amène l’Etat à devoir faire face au même défi d’ensemble que celui auquel sont confrontées les entreprises, et qui est de parvenir à s’adapter a` une société de l’immatériel, de passer du tangible à l’intangible.
C’est là un processus inéluctable qui ne peut que s’amplifier avec le développement des NTIC.

Plus encore, il est fort probable que l’Etat soit confronté à la nécessité de s’inscrire durablement dans une logique du mouvement, de l’incertain, on veut dire de réforme permanente, l’enjeu fondamental étant sa capacité à assumer le défi de la complexité, à interpréter,
organiser et piloter des phénomènes de plus en plus enchevêtrés nécessitant de prendre appui sur un réseau de mutualisation de multiples savoirs. Dans la mesure où une telle logique conduit nécessairement alors à considérer l’Etat, avant tout, du point de vue de son
potentiel de développement, de sa dynamique de changement – il s’agit de le réinventer, le reconstruire, l’évaluer en permanence (2) afin de maximiser ses capacités – une telle évolution peut donner le sentiment que l’on s’écarte ainsi d’une vision étroitement financière.

Or, il faut aussitôt souligner qu’il n’en est rien. Car il s’agit bien de déterminer comment l’action publique peut répondre a` cette confrontation avec une société de l’immatériel. Hormis le fait que l’action de l’Etat en matière d’éducation et de recherche s’avère essentielle
et même stratégique dans le cadre d’une économie cognitive, il nous semble indispensable que s’engage une réflexion sur les modes de financement et de gestion, ainsi que, bien entendu, de mesure des résultats. La difficulté n’est pas mince. Dans ce nouveau contexte, il
s’agit notamment de parvenir à mesurer et évaluer l’intangible. Or, on sait que la comptabilité publique s’appuie sur un plan comptable qui rencontre des difficultés à mesurer la valeur des
actifs immatériels. On ne doit pas s’en étonner. Dès lors que « la notion d’actif incorporel est au coeur du développement de l’économie de la connaissance » (3) comme l’a excellemment souligné la Cour des comptes, un autre système de représentation de la valeur est
nécessaire.
Ce qui pose la question de la réforme des normes comptables et de la création d’une institution ad hoc, par exemple un Conseil National de la comptabilité publique (4). On rappellera par ailleurs qu’une Agence du patrimoine immatériel de l’Etat (5) a été créée pour
recenser et valoriser les actifs immatériels publics. Ce qui montre bien en définitive que la question de la détermination de la valeur des biens publics se pose dans les mêmes termes que pour les entreprises qui s’interrogent sur la possibilité d’évaluer des immobilisations
immatérielles, qui ne figurent pas toujours au bilan, et qui peuvent toutefois représenter 60 à 80 % de la valeur de l’entreprise (6).

Il apparaît aujourd’hui que le capital immatériel constitue un facteur primordial de performance (7). Ce qui devrait, à notre sens, conduire les pouvoirs publics à s’intéresser à un facteur essentiel situé en amont du processus de production qui réside dans la qualité du
dispositif de recherche et de formation, condition première d’une capacité créative. Il s’agit aussi d’un facteur qui devrait de plus en plus être considéré comme stratégique pour la mise en place d’une gouvernance financière publique d’excellence. Il est grand temps
d’admettre qu’en elles-mêmes les techniques de gestion ne sont pas suffisantes pour assurer la soutenabilité des finances publiques et que les compétences, les savoirs humains sont essentiels.

A partir de là il faut bien accepter que conceptualiser, penser, devient alors hautement opérationnel.

Michel BOUVIER



(1) RFFP N° 100-2007
(2) Cf. M. BOUVIER, « La révision générale des politiques publiques et la réforme de l’Etat », in AJDA N°7-2008 ; cf. également le dossier consacré à ce sujet dans le présent numéro.
(3) Cour des comptes. Rapport sur les comptes publics 2005.
(4) Cf. à ce sujet : J.-P. MILOT, « La réforme de la normalisation comptable et la comptabilité publique », in RFFP N° 101-2008.
(5) Arrêté du 23 avril 2007.
(6) Cf. Rapport de la commission sur l’économie de l’immatériel (novembre 2006).
(7) On peut citer le capital humain (savoir-faire, coopération, culture managériale...), les
listings, la clientèle (notamment satisfaction, fidélité), les marques, les brevets, etc.

RFFP n°102 - Sommaire
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La réforme des finances publiques au Maroc

RFFP N° 102 – Juin 2008

 

 

Editorial : L’Etat intelligent et la nouvelle gouvernance financière publique, par Michel Bouvier

 

• LA REFORME DES FINANCES PUBLIQUES AU MAROC

 

Avant-propos : La réforme des finances publiques au Maroc : performance, responsabilisation, transparence, par Michel Bouvier

 

Allocution d’ouverture, par Mohamed Boussaïd

 

Allocution d’ouverture, par Nourredine Bensouda

 

Les enjeux de la réforme fiscale, par Nourredine Bensouda

 

Réflexions sur la réforme fiscale, par Mohamed Hdid

 

La réforme de l’impôt sur les sociétés : enjeux et contraintes, par El Hassane Katir

 

Enjeux et défis de la réforme de la TVA, par Abdelouahab Naciri Darai

 

La modernisation de la gestion des impôts d’Etat, par Abdelilah Benbrahim

 

Impôts locaux : la problématique de l’efficacité du dispositif de gestion, par Mohamed Bouchareb

 

La récente réforme de la fiscalité locale, par Abdelrhani Guezzar

 

Lutte contre la fraude fiscale : le renforcement de la qualité du contrôle fiscal, par Ahmed Tazi

 

Contentieux fiscal : principales évolutions, par Brahim Kettani

 

Les grands enjeux de la réforme budgétaire, par Abdellatif Bennani

 

La réforme de la loi organique des finances, par Samir Tazi

 

La préparation et l’exécution des lois de finances, par Abdelkrim Setti

 

La réforme du contrôle administratif des dépenses de l’Etat, par Mimoun Lmimouni

 

Les évolutions du contrôle juridictionnel des finances publiques, par Abdellah Serhane

 

La réforme de finances sociales. Le cas de la santé, par Mohamed Cheïk Biadillah

 

Les grands enjeux des finances sociales, par Thami El Barki

 

Réforme de l’assurance maladie obligatoire, le Maroc solidaire en marche,

par Abdelaziz Adnane

 

La réforme des régimes de retraite, par Mohammed Bendriss Benahmed

 

Allocution de clôture, par Fathallah Oualalou

 

Présentation de l’association des diplômés marocains en finances publiques

 

• DOSSIER SPECIAL : LA REVISION GENERALE DES POLITIQUES PUBLIQUES

 

Quelques questions autour de la RGPP, par André Barilari

 

De la RGPP au budget pluriannuel, par Philippe Josse

 

La RGPP, un cadre de réforme structurant au service d’une maîtrise durable

de la dépense publique, par François-Daniel Migeon

 

Le rôle et la place des cabinets de conseil dans la RGPP, par Gilles Pedini

 

La pluriannualité budgétaire au Royaume-Uni, par Richard Hughes

 

• ETUDES

 

L’utilisation de la fiscalité au Canada dans le financement des soins de santé : Une analyse comparative, par André Lareau

 

• CHRONIQUE D’ACTUALITE DES JURIDICTIONS FINANCIERES

Les chambres territoriales des comptes, par Jacques Basset

 

• CHRONIQUE BIBLIOGRAPHIQUE

I. – Compte rendu d’ouvrage, par S. Jeannard

II. – Vient de paraître

III. – Annonces de colloques

 

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