EDITORIAL

Inventer une nouvelle gouvernance financière publique : fonder l’État du XXIe siècle

Le cadre général des finances publiques, en pleine transformation depuis maintenant plus de deux décennies, semble être parvenu aujourd’hui à un point critique. On est en présence d’un processus cumulatif de réformes qui a atteint un tel stade qu’il peut donner le sentiment d’un caractère irréversible et que l’on se trouve au terme d’une réorganisation en profondeur des structures internes du système financier public. C’est la raison pour laquelle on peut considérer qu’il convient désormais de se préoccuper d’identifier les conséquences et les grands enjeux qui en résultent au regard des nouvelles formes que prennent l’État et l’action publique.

D’une manière générale, c’est bien tout un ensemble de valeurs qui se trouve bouleversé et, avec elles, tout un corps de références. Ainsi, des dispositifs qui depuis des décennies relevaient de l’évidence, d’un sens partagé, sont devenus sujets à débats. De la même manière, des concepts et des définitions qui jusqu’alors semblaient aller de soi ont perdu leur sens ou sont devenus confus de par un contexte qui s’est considérablement modifié, mais également sous l’effet des brouillages qu’entraînent les confrontations et va-et-vient entre plusieurs conceptions des finances publiques : l’une qui garde un pied dans l’interventionnisme public classique tandis qu’une autre, au contraire, s’oriente vers l’efficacité de gestion et le marché, sans compter une troisième, difficile à définir, qui se cherche, tâtonne, en s’essayant à concilier à la fois solidarité sociale, obligation de résultat, intérêt général et tradition démocratique.

Ce processus de transformation de la gestion publique et de l’État n’est pas récent. On nous permettra de dire qu’il suffit de feuilleter les cent numéros de la Revue Française de Finances Publiques pour s’en rendre compte, ceux-ci étant un reflet fidèle des mutations qui se sont produites tout au long de ce dernier quart de siècle. Des mutations qui, rappelons-le, se sont amorcées dès la seconde moitié des années 1970 avec les premiers signes d’une crise qui s’est révélée tout autant économique qu’institutionnelle. Des mutations qui se sont ensuite développées d’une manière parfois spectaculaire un peu partout dans le monde au début des années 1980 sous la bannière de la « nouvelle gestion publique ». On mentionnera ici les caractéristiques les plus fortes de ce mouvement : une internationalisation et une décentralisation des réseaux financiers publics, le souci grandissant de la maîtrise des dépenses publiques et de l’adaptation au secteur public de méthodes de gestion et d’évaluation des résultats empruntées au management des entreprises, l’implantation dans la réalité publique d’une culture de la performance, la généralisation de l’idée du nécessaire désengagement de l’État pour laisser plus d’espace au marché économique et financier, un citoyen/contribuable ayant largement glissé vers un citoyen / client, une conception plus exigeante de la reddition des comptes devenue un véritable impératif, un mouvement continu vers la responsabilisation des gestionnaires, une explosion sans précédent des dépenses sociales... Cette période a également vu naître l’apparition de nouveaux centres de décisions privés et publics, locaux et internationaux, dont les pratiques, les règles et les cadres conceptuels sont devenus de plus en plus proches les uns des autres.

Au total, une observation attentive de l’ensemble des évolutions contemporaines des systèmes financiers publics conduit à mettre en pleine lumière le phénomène plus général qui en est à l’origine, à savoir un processus de transformation, voire plus exactement de métamorphose de l’État et de la société. Une métamorphose qui arrive maintenant à maturité, avec l’apparition des formes d’un nouveau contrat social que l’on commence, sans doute encore timidement, à voir poindre.

Car après l’implantation progressive de la « nouvelle gestion publique » c’est au passage à une « nouvelle gouvernance financière publique » auquel nous assistons aujourd’hui. Cette dernière associe à la culture de performance, de l’efficacité de la gestion, une dimension politique, une culture démocratique qui tout en conservant ses formes traditionnelles, parlementaires, s’organise également de façon horizontale, décentralisée, en réseaux de citoyens. Il semble bien en effet, que l’on aborde, avec certes des hésitations, un nouveau continent administratif et politique nourri d’une conception systémique de l’organisation de l’ordre social, on veut dire diversifiée et unifiée à la fois, qui laisse deviner ce que sera l’État du XXIe siècle.

Plus précisément, il semble que l’on soit en train de rompre avec une conception cloisonnée de l’État et de l’action publique, une conception qui ne reconnaît pas, et à fortiori ne les formalise pas, les multiples interactions et la multirationnalité qui caractérisent les sociétés contemporaines. Or il n’est plus possible de concevoir de manière isolée les diverses institutions publiques ou privées qui forment une société. Il est même devenu crucial d’identifier le décalage qui peut exister entre les besoins actuels et des institutions administratives et politiques qui ont été conçues et déterminées, en leur temps, par la nécessité de cloisonner les acteurs et les structures ainsi que par une approche verticaliste du processus de décision. Une telle façon de penser et d’agir ne peut plus suffire à gouverner une société devenue de plus en plus complexe sous la pression de multiples facteurs, qu’il s’agisse de la mondialisation des échanges, de l’explosion des nouvelles technologies, ou encore de citoyens devenus de plus en plus exigeants à l’égard des services rendus par le secteur public. Par ailleurs un tel contexte ne permet plus à l’État de demeurer le lieu central de pouvoir qu’il a été.

Il ne faut pas oublier que des institutions solides sont indispensables au bon fonctionnement d’une société, qu’elles sont le cadre général d’action de toutes les activités économiques et sociales et que, par conséquent, il ne s’agit surtout pas d’affaiblir l’E´ tat mais bien de l’organiser autrement à la fois sur un plan vertical et horizontal. C’est bien selon cette logique, on le constate, que se construisent depuis environ un quart de siècle et sur la base de synergies nombreuses des réseaux financiers publics qui, si l’on y regarde de près, ont parfaitement épousé la complexité, c’est-à-dire la multiplicité et l’interactivité des acteurs publics et privés.

C’est aussi cet ordre qui au cours des prochaines années est certainement appelé à devenir le ferment, l’ossature, ou mieux encore la matrice d’une renaissance de l’Etat et, finalement, il n’y a là rien d’étonnant. L’histoire a montré à plusieurs reprises que les finances publiques jouaient un rôle majeur dans le déclenchement des transformations en profondeur, voire même des révolutions qu’ont pu connaître les sociétés. C’est dans ces moments-là en effet qu’il apparaît de la manière la plus évidente qu’elles représentent non seulement un facteur essentiel de changement mais également une grille de lecture de première qualité de ces changements.

On doit souligner à cet égard que la Revue Française de Finances Publiques a activement participé à ce décryptage durant ces vingt-cinq dernières années en ayant aussi contribué à accompagner ce mouvement de réformes, voire en ayant peut-être, à sa manière, aidé à l’émergence de certaines d’entre elles. Quoi qu’il en soit, tous les auteurs de la Revue, praticiens et chercheurs, ont apporté, apportent et continueront d’apporter une contribution essentielle à l’invention d’une nouvelle gouvernance financière publique et par conséquent à l’invention d’un nouvel État.
On nous permettra de les remercier chacun très chaleureusement pour avoir accepté de participer au développement de cette « intelligence collective » et finalement de ce réseau d’intelligence, de démultiplication et de partage des savoirs, sans lequel aujourd’hui aucune création institutionnelle n’est possible.

On ajoutera que c’est bien le rôle d’une revue de recherche comme la nôtre de faire s’exprimer et donner forme à cette intelligence collective par essence immatérielle. Une production de savoirs qui, par ailleurs, ne peut s’épanouir qu’à travers des synergies et en dehors de toute forme d’exclusion ou de cloisonnement. Ce qui dès sa création, à l’automne 1982 et son premier numéro au printemps 1983, a été le fondement et la ligne directrice de la Revue Française de Finances Publiques.

Michel BOUVIER
RFFP n°100 - Sommaire

Nouvelle gouvernance financière publique : Grands enjeux de demain

Spécial N° 100 – Novembre 2007


Editorial : Inventer une nouvelle gouvernance financière publique : fonder l’État du XXIe siècle, par Michel Bouvier
Propos d’hier pour demain de Pierre Sudreau

MÉTHODES
Dette publique : discours de la méthode, par Alain Lambert
Décentralisation passer du discours à la méthode, par Pierre Richard
Brèves remarques, notamment méthodologiques sur la réforme fiscale locale, par Gilbert Orsoni
La réforme des comptes de l’État. Bilan et perspectives après la remise des comptes 2006, par Dominique Lamiot
L’organisation du contentieux fiscal est-elle toujours actuelle ?, par Marie-Christine Esclassan
Les changements de jurisprudence fiscale au Brésil au regard du principe de confiance légitime et de l’intérêt financier public, par Misabel Abreu Machado Derzi
La notion de capacité contributive des contribuables dans la société postmoderne, par Michel Bouvier
Consensualisme fiscal et consentement de l’impôt, par Pierre Beltrame
Finances publiques, finances privées : nouveau partage, nouvelles similitudes ?, par Robert Hertzog

INSTRUMENTS
Faut-il étendre la LOLF à l’ensemble des entités de la sphère publique ?, par Jean Arthuis
De la certification des comptes de l’E´ tat : principes, enjeux et difficultés, par David Huron, Frédéric Marty et Jacques Spindler
La notion d’imposition de toutes natures, par Xavier Prétot
L’avenir de l’ISF ?, par Bernard Plagnet
Le dépassement de l’ONDAM, par Étienne Douat
Un exemple de déconsolidation de la dette : un crédit-bail à levier fiscal, par Éric Portal
La dématérialisation – l’enjeu des données de la paye pour les juridictions financières, par Michel-Pierre Prat, Sylvie Chaigneau-Peyroux et Cyril Janvier
Les investissements publics dans les transports ferroviaires, par André Barilari
Brèves réflexions sur quelques mots-clefs de finances publiques pour le futur, par Luc Saïdj

CONTRÔLES FINANCIERS JURIDICTIONNELS
La Cour, vigie des finances publiques, par Philippe Séguin
Les évolutions récentes de la Cour des comptes, par Bernard Cieutat
La Cour des comptes : Une nouvelle approche des comptes, par Jean-Philippe Vachia
De la nécessité de maintenir un contrôle juridictionnel en système lolfique, par Michel Lascombe et Xavier Vandendriessche
Vers une responsabilité pour faute devant les juridictions financières, par Farhana Akhoune et Stéphane Thébault
La Cour des comptes européenne a trente ans, par Jean-François Bernicot

PROCESSUS DE DÉCISION
Le contrôle parlementaire des finances publiques, par Didier Migaud
La présidence de la commission des finances par un membre de l’opposition parlementaire : potentialités et enjeux, par Irène Bouhadana et William Gilles
Modernisation et réforme de l’État, au service des finances publiques, par Frank Mordacq
Les transformations de la fonction d’ordonnateur, par Jean-Pierre Duprat
Décentralisation : la fiscalité locale, enfin ? , par Philippe Valletoux
Brèves réflexions sur la mise en oeuvre de la loi organique relative à l’autonomie financière des collectivités territoriales, par Vincent Dussart
Efficacité et transparence des finances publiques pour une meilleure offre de biens pour le citoyen, par Nourredine Bensouda
Le partage du pouvoir fiscal au Brésil, par Estevao Horvath
La veille du réexamen annoncé des finances de l’Union européenne : remise à plat ou réajustement ? , par Joël Molinier

CHRONIQUE D’ACTUALITE´ DES RE´FORMES
Intérêt de la démarche de certification de service dans les URSSAF. Le point de vue de l’URSSAF de Paris – Région parisienne, par Vincent Ravoux et Frédéric Gaven

CHRONIQUE BIBLIOGRAPHIQUE
Vient de paraître


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