ÉDITORIAL
Le contrôle de l'argent public, autrement dit de l'utilisation de l'argent du contribuable ou du cotisant, représente un élément majeur du fonctionnement démocratique. Un contrôle correctement effectué constitue le corollaire indispensable et logique d'un régime qui entend œuvrer dans le sens de l'intérêt général, pour la réalisation du bien commun.
Si l'organisation d'un tel contrôle peut paraître relativement simple dans le cadre d'un système au sein duquel les rapports entre secteur public et secteur privé sont peu nombreux, ou pour le moins identifiables, il n'en est plus de même lorsque les relations et les délégations se multiplient ou que les modes de gestion du premier se rapprochent du second. La difficulté s'accroît encore lorsque la contribution s'évade du cadre fiscal traditionnel pour prendre la forme de cotisations, voire même de dons versés à des institutions organisées sous des formes juridiques relevant du droit privé.
La complexité croissante des systèmes sociaux et la formation qui s'ensuit de réseaux enchevêtrés de centres de décision publics et privés ou encore semi-publics ou semi-privés, les financements croisés ou les co-financements qui naturellement en résultent, les montages juridiques compliqués qui font perdre de vue l'identité des deniers publics, tous ces éléments jouent comme autant de facteurs rendant le système financier public de moins en moins transparent et partant, de plus en plus difficile à contrôler.
D'autre part, face à cette opacité, les dispositifs juridiques existants pour organiser cette complexité en conformité avec les principes en vigueur dans une démocratie, apparaissent parfois insuffisants voire même dans certains cas inexistants. De même, les structures administratives susceptibles d'être mises en œuvre, dont l'architecture et les moyens pouvaient sembler adaptés lorsqu'ils furent édifiés, peuvent se révéler inopérants face à des situations par trop nouvelles nécessitant une autre stratégie de contrôle. Plus encore, les organes juridictionnels, administratifs mais aussi judiciaires, se heurtent également à des difficultés grandissantes pour assumer pleinement les fonctions qui sont les leurs.
On soulignera enfin, qu'au-delà des questions techniques que posent aujourd'hui les opérations de contrôle des formes parfois inédites prises par l'évolution des cadres juridiques et de la gestion des missions d'intérêt public, se révèle un processus de transformation en profondeur de l'organisation de l'État et du secteur public dans son ensemble.
Les sociétés contemporaines, de plus en plus ouvertes, sont très certainement à l'aube de profonds changements, essentiellement marqués par une restructuration en réseaux, aux caractéristiques souvent indéfinies, qui pourraient progressivement et radicalement modifier la figure traditionnelle de l'espace public. Aussi le problème du contrôle des fonds affectés par les citoyens à des missions d'intérêt général se présente-t-il à notre sens comme un problème essentiel dont la solution pourrait bien être déterminante quant à la possibilité que peuvent avoir de se perdurer, certes les institutions démocratiques, mais encore la solidarité des individus et des générations qui leur est naturellement associée.
Michel Bouvier