Pour un contrôle systémique des finances publiques, condition d’une nouvelle gouvernance

Un examen attentif des évolutions que connaissent les sociétés un peu partout dans le monde et la France en particulier, montre un mouvement de déconstruction progressive allant en s’amplifiant d’année en année.. On n’assiste pas à une destruction de l’Etat mais , dans différents domaines, à des réformes isolées de ses diverses composantes , ce qui aboutit dans nombre de cas à une juxtaposition ou à un enchevêtrement d’actions. Cette déconstruction pierre par pierre, déterminée la plupart du temps par l’objectif de rendre moins coûteuse l’action et la gestion publiques, laisse planer nombre d’incertitudes sur la cohérence des politiques menées sans que soit reconstruit un nouvel ensemble .
En France, après plus de vingt années pendant lesquelles l’Etat à modifié ses relations avec son environnement, en s’étant notamment fortement désengagé tant au profit des collectivités locales que du marché, le besoin se fait sentir -en particulier à un moment ou se trouve relancé le processus de décentralisation- de redonner une unité et une maîtrise nouvelles à un système de plus en plus morcelé , frôlant à maints égards le risque d’un nouveau moyen-âge.
La réforme de la gestion financière de l’Etat par la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2OO1 illustre sans conteste un tel besoin, tant de par la culture de contrôle de la gestion qui sous tend cette réforme , que par la conception stratégique, programmée et évaluative de l’action de l’Etat. dont elle relève , ce qui amène nécessairement à réfléchir sur la capacité de régulation des dispositifs financiers publics ainsi que leur impact sur la société dans l’ ensemble de ses composantes. On ne saurait en effet limiter cette réforme à une vision managériale de la gestion publique, uniquement préoccupée de l’efficacité ; il s’agit de prendre plus largement en considération les effets qu’elle est susceptible d’induire en chaîne sur les acteurs et les structures , tout particulièrement les fonctionnaires et leurs administrations.
Car sur le fond la question essentielle à laquelle la réforme entend apporter une réponse n’est pas directement ou étroitement financière. Elle porte prioritairement en réalité sur la régulation et la mise en cohérence de l’ensemble très diversifié que forment les finances publiques étant entendu que les budgets publics sont au cœur du problème .
Mais dans la mesure où cette diversification ne fait que refléter celle de la société , le problème est de savoir si la restructuration du système financier public peut suffire à surmonter cette difficulté et parvenir à une régulation positive de l’ensemble. De ce point de vue, et en se plaçant sur le terrain méthodologique, on soulignera l’intérêt d’envisager cette question sous l’angle d’une notion qui n’est pas nouvelle (*) , celle de système et de contrôle systémique, et qui pourrait bien apparaître comme une clef pertinente de lecture ainsi que de reconstruction des ordres politiques et financiers nationaux et internationaux .

Si l’on considère l’Etat contemporain à la lumière d’une méthodologie systémique on peut le considérer en effet comme un système ayant à intégrer la diversité de ses éléments tout en respectant leur autonomie de décision. Or l’un des intérêts de la notion de système est qu’elle permet de prendre en compte de manière à la fois synthétique et analytique les institutions ainsi que d’appréhender la maîtrise du changement, voire de l’accompagner ou de l’impulser. Ces aspects en font donc un cadre d’interprétation et d’action qui devrait être particulièrement recherché par les gestionnaires et les décideurs s’ils sont convaincus que les réformes des sociétés contemporaines nécessitent , bien plus que des mesures disparates prises au coup par coup , une réflexion de fond prenant en compte la multiplicité des facteurs intervenant et cela en l’absence de toute précipitation sur des solutions toutes faites.
D’autant que la question de la régulation est au cœur de ce type d’analyse. Le contrôle systémique vise en effet à assurer le pilotage et la coordination d’ensembles hétérogènes au sein desquels chaque élément ne jouit que d’une autonomie relative dans la mesure où il est en relation d’interdépendance avec les autres. L’hypothèse y est faite que pour être performant et cohérent un système doit être géré tant au niveau de chacune de ses composantes que dans la totalité formée par celles-ci. Cet impératif implique ainsi des lieux de régulation à chaque niveau du système et , par conséquent, que soient institués des organes de contrôle aussi bien micro que macro. Ces organes de contrôle doivent veiller à ce que l’institution concernée soit en mesure de fonctionner en harmonie avec son environnement interne et externe et qu’elle puisse s’adapter à tout moment aux fluctuations qui peuvent intervenir(on rappellera que c’est à ce titre qu’on a suggéré des organes paritaires ayant pour fonction de réguler par la concertation les évolutions des ressources et des dépenses publiques aux différents niveaux d’administration. , cf éditorial du N° 80 de cette Revue ).

En fin de compte, c’est bien la reformulation du processus de décision qui est au centre des questions qui nous préoccupent. Et c’est bien en cela que la réforme des finances publiques est susceptible d’ouvrir à une réforme de l’Etat. La difficulté n’est pas mince. Il s’agit de parvenir à une architecture nouvelle en accord avec les nécessités et les idées d’aujourd’hui, à une nouvelle forme de gouvernance sachant intégrer démocratie,solidarité et liberté.

Michel Bouvier

(*)cf M Bouvier, MC Esclassan ; Le système communal ; LGDJ 1980 ; cf également, M Bouvier, Finances locales , LGDJ 2002 , 8ème édition ; p. 178 et suiv.







RFFP n°81 - Sommaire
Éditorial : Pour un contrôle systémique des finances publiques, condition d’une nouvelle gouvernance, par Michel Bouvier

Vingt ans de finances locales : enjeux pour l'avenir


Avant-propos, par Pierre Richard
La décentralisation à la croisée des chemins : Pour la République territoriale par Christian Poncelet
Quelle réforme des finances locales ?, par Jean-Pierre Fourcade
Autonomie fiscale locale et libre administration des collectivités locales, par Michel Bouvier
L'autonomie financière des collectivités locales et le Conseil constitutionnel, par Patrice Raymond
L'autonomie financière des collectivités locales : l'arlésienne du XXIe siècle ?, par Jean-Marc Galland
Un modèle latin méridional d'autonomie fiscale des collectivités locales, par Jacques Blanc
La région. Nouvelles compétences, nouveaux financements, par Michel Vauzelle
La compensation des transferts de compétence État-collectivités locales, par Marie-José Tulard
Vingt ans d'évolution institutionnelle en Corse, par Daniel Colombini
Fonction financière : une profonde mutation, par Philippe Laurent
Vingt ans après… un nouveau PAF pour les collectivités territoriales ? Un point de vue d'économiste, par Guy Gilbert
L'évolution des ressources fiscales locales, par Gilbert Orsoni
Investissement et désendettement : un paradoxe pour le secteur local ?, par Dominique Hoorens
L'évolution de la comptabilité publique locale (1982-2002), par Luc Saïdj
Une approche consolidée des données financières des collectivités locales est souhaitable et possible, par Denis Rousseau
La modernisation de la gestion des collectivités territoriales et l’évolution du droit financier local, par Éric Portal
Quel avenir pour l'intercommunalité ?, par Marie-Christine Bernard-Gélabert
Enjeux et perspectives des relations financières entre l'État et les collectivités locales, par Guillaume Chabert
Le Trésor public au service des collectivités locales : un partenariat à forte valeur ajoutée, par Pierre-Louis Mariel et Alain Thébault
La mission des grandes villes de la Cour des comptes 1978-1982. Préfiguration des Chambres régionales des comptes, par André Delion

Études
Les fonds spéciaux. Contribution à l'étude des marges du droit. Deuxième partie, par David Biroste
Comptabilité publique : grâce à douze nouvelles normes de l'IFAC, un référentiel international se met en place, par Jean-Bernard Mattret
Évaluation des politiques publiques et appréciation de leur pertinence, par Henri Isaïa
Chronique fiscale
Résumé du XXe rapport du Conseil des impôts : les relations entre les contribuables et l'administration fiscale, par François Logerot
Chronique de finances sociales
La participation de l'assurance chômage à la politique pour l'emploi, par Rémi Pellet
Tribune libre
Fiscalité directe : une révolution silencieuse ?, par Gérard Thoris
Chronique de jurisprudence constitutionnelle
Le Conseil constitutionnel, les finances publiques et les finances sociales, par Xavier Prétot
Chronique budgétaire
La loi de finances pour 2003, par Bernard Plagnet


Chronique bibliographique
I. – Comptes rendus d'ouvrages, par François Morvan
II. – Vient de paraître
III. – Annonces de colloques

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