Les pistes de réflexion proposées sur l'avenir des départements mettent en évidence les incertitudes sur leur rôle dans la nouvelle organisation territoriale. Des clarifications devront être apportées par la future loi NOTRE qui, en l'état actuel du projet de loi, ne semble pas aller dans ce sens.

 

Le chantier de modernisation de l'action publique lancé par l'actuel Gouvernement, le 18 décembre 2012, a abouti à plusieurs mesures, dont la loi de modernisation de l'action publique territoriale (MAPTAM) du 28 janvier 2014 et le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (PLNOTRE), déposé au Sénat le 18 juin 2014 et discuté à partir du 16 décembre 2014.

Si la loi MAPTAM et le PLNOTRE (dans sa version actuelle) semblent clarifier les compétences des métropoles et des régions, il n’en est pas de même pour les départements. En effet, la question de l’avenir et de l’existence des départements avait d’abord été abordée de manière prudente par le Président de la République lors de sa conférence du 14 janvier 2014, puis de manière plus explicite par le Premier ministre lors de son discours de politique générale du 8 avril 2014, exprimant sa volonté de voir les départements supprimés à l’horizon 2021. Enfin, et de manière inattendue (tout au moins pour le citoyen), le Premier ministre a confirmé lors de son intervention devant le Sénat du 28 octobre dernier et lors du congrès de l’Assemblée des départements de France le 6 novembre que la suppression des départements n’était plus à l’ordre du jour.

Même si les élus des conseils généraux, mobilisés depuis plusieurs mois, ont remporté une première bataille en obtenant du Gouvernement que les départements ne soient pas supprimés, la véritable victoire serait d’obtenir la  clarification du positionnement des départements et de leur rôle dans une nouvelle architecture administrative qui taille la part belle aux métropoles et régions, notamment par les nombreux transferts de compétence des départements vers ces deux échelons.

Un transfert des compétences à géométrie variable des départements vers les autres échelons

En l’état actuel du PLNOTRE, les départements devraient transférer au 1er janvier 2017 les routes départementales aux métropoles et les transports interurbains aux régions. Au 1er  septembre 2017, les collèges, le forfait externat ainsi que les transports scolaires devraient être transférés aux régions.

De plus, à compter du 1er  janvier 2016, les départements ne pourraient quasiment plus intervenir en matière économique.

Les départements devraient également déléguer ou transférer aux métropoles, par voie conventionnelle, au plus tard le 1er  janvier 2017, trois compétences au moins sur les sept groupes de compétences énoncés à l’article 23 du PLNOTRE. A défaut, l’ensemble des compétences serait transféré aux métropoles à cette date. Le périmètre des compétences transférées varierait donc d’un département à l’autre.

En résumé, par le jeu des transferts obligatoires ou optionnels vers les métropoles ou les régions, les départements perdraient une partie de leurs compétences en matière d’action sociale (FAJ, FSL, programme départemental d’insertion, service public départemental d’action sociale, sport, culture), la quasi-totalité de leurs compétences en matière de développement économique et la totalité de leurs compétences en matière d’infrastructures (voierie, ports maritimes) etc. Ils seraient ainsi recentrés sur leurs compétences en matière de solidarités territoriales et sociales, ne pouvant plus être un moteur de l’investissement local.

Des modalités incertaines de compensation financière par les départements

La loi MAPAM (article 43) et le PLNOTRE (article 37-II) précisent que la compensation financière des transferts de compétences s’opère, à titre principal, par la fiscalité.

Toutefois, le périmètre de la fiscalité transférée ainsi que les conditions du transfert des personnels et des services départementaux ne sont pas précisés. C’est donc un vaste chantier laissé aux différents comités techniques des collectivités concernées (qui devront régler par voie conventionnelle ces questions dans un premier temps) et à l’Etat dans la mesure où il se réserve la possibilité de prendre ultérieurement des mesures d’ordre comptable, financière et budgétaire, soit par la loi de finances, soit par ordonnance.

Certes, la loi de finances précisera ultérieurement les conditions dans lesquelles se fera le transfert de fiscalité et les impôts concernés par celui-ci. Cependant, il est permis d’ores et déjà de se questionner sur les modalités qui pourraient être retenues.

Les pistes de réflexion sur le périmètre de la fiscalité transférable

Pour rappel, les compétences transférées aux départements par les lois Deferre ont été compensées par le transfert des droits de mutations (DMTO) et de la taxe différentielle sur les véhicules à moteur, par la création de la dotation générale de décentralisation (DGD) qui est aujourd’hui incluse à 95 % dans la dotation globale de fonctionnement (DGF) et par la dotation d’équipement des collèges (DDEC) permettant au département de supporter les charges d’investissement liées surtout à la construction de nouveaux bâtiments, aux opérations de reconstruction et aux grosses réparations.

Quant aux transferts de compétence opérés par la loi liberté et responsabilité locales (LRL) du 13 août 2004, ils ont été compensés principalement par la taxe sur les conventions d’assurance (TSCA) et la taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques (TICPE).

De ce fait, une fraction du taux départemental de la TSCA (notamment la TSCA article 52 finançant les transferts de compétence majoritairement à caractère social de 2005 et 2006) et une fraction de tarif de la TICPE (notamment la troisième part compensant les charges liées au transfert des personnels TOS-DDE en complément de la TSCA) pourrait être transférée aux métropoles et aux régions.

Une autre hypothèse pourrait être de refondre la TSCA et la TICPE afin que l’Etat puisse les affecter soit aux départements, soit aux régions ou aux métropoles selon un mécanisme le moins complexe possible, d’autant plus que les transferts de compétence notamment en matière sociale seront à géométrie variable dans la mesure où le PLNOTRE laisse la possibilité de choisir, de manière conventionnelle, trois compétences à transférer aux métropoles.

Par ailleurs, les dépenses d’action sociale étant difficilement maîtrisables, il ne serait pas exclu qu’une partie des droits de mutation (DMTO), de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) détenue à 48,5% par les départements et de la taxe sur le foncier bâti (TFB) soit transférée aux métropoles pour supporter l’accroissement des charges transférées.

Les départements pourraient se retrouver avec des ressources considérablement diminuées tandis que les principales compétences en matière sociale qui resteraient à la charge des départements à savoir, le revenu de solidarité active (RSA), la prestation de compensation du handicap (PCH) et éventuellement l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), continueraient d’évoluer, accentuant ainsi l’effet de ciseau entre les ressources et les charges.

La nécessaire refonte des critères de péréquation

Dans la mesure où les départements devront compenser les transferts de compétence, une partie de leurs richesses et de leurs impôts serait par la même occasion transférée aux autres échelons.

De ce fait, le potentiel fiscal et le potentiel financier qui servent souvent de critères de base dans le calcul de la répartition des fonds de péréquation (le FPCVAE et le FPDMTO notamment) devraient être révisés puisqu’ils ne correspondront plus ni à la richesse théorique du département, ni à sa capacité réelle à lever l’impôt. C’est également le cas pour les fonds de péréquation répartis sur la base de coefficient de ressources et de charges des départements.

La lisibilité des transferts de compétences sociales pour l’usager du service public

Le périmètre des transferts de compétences obligatoires et/ou optionnels principalement en matière d’action sociale ne sera pas toujours lisible voire compréhensible pour l’usager du service public, notamment du fait que les transferts de compétence seraient opérés à géométrie variable. A titre d’exemple, les espaces de solidarité (EDS), chargés de l’action sociale mise en œuvre par le département sur le territoire, pourraient voir une partie de leurs compétences gérée par les métropoles tandis qu’une autre continuerait d’être gérée par les départements en fonction des compétences obligatoires et/ou optionnelles transférées.

Cette situation compliquera la lisibilité du service public d’action sociale pour l’usager, d’autant plus que les métropoles pourraient être une structure administrative beaucoup plus éloignée des administrés et plus hiérarchisée que les départements.

Les incertitudes liées à la gestion des services et des personnels transférés

En l’état actuel du PLNOTRE, les services des départements assurant les compétences en matière de voirie et de transport seraient transférés aux régions. Ainsi, à compter de la date du transfert, les agents des services départementaux seraient sous l’autorité directe de l’exécutif de la collectivité qui reprend la compétence.

Toutefois, des précisions restent à apporter sur le statut de l’exécutif départemental, sur l’intégration des services transférés et des agents remobilisés, notamment vis-à-vis  du contenu de leurs missions, des règles qui régiront leurs conditions de travail, de l’harmonisation des régimes indemnitaires, du maintien ou de la suppression des primes mais également des économies qui seront réalisées, puisque la version actuelle du PLNOTRE ne règlent pas ces questions.

Le revirement opéré par le Gouvernement quant à la suppression des départements à l’horizon 2020 ne rend pas moins incertain l’avenir des départements tant sur la clarification de leurs compétences, de leurs missions que de leur rôle dans la nouvelle organisation administrative. La discussion du PLNOTRE par le Sénat, à partir du 16 décembre, pourrait être l’occasion de remettre à plat le contenu du projet, en repensant la place des départements autrement que par l’amoindrissement pur et simple de leurs compétences à défaut de les supprimer.

Dans le cas contraire, la question de la suppression des départements - qui se reposera inéluctablement - deviendra une évidence, d’autant que la réduction du « millefeuille territorial » est l’une des principales raisons de la réforme.

 

Aimée Ayé

Chargée de mission prospective, analyses fiscales et financières

Direction des Finances-Conseil général du Val-de-Marne

Doctorante à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne

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